L'histoire de Gil Blas de Santillane : un cas exemplaire
Dès une première approche de l'œuvre romanesque d'Alain-René Lesage, et particulièrement de Gil Blas, le lecteur moderne est surpris par la roture ambigu« du héros-narrateur, aussi manifeste que son aspiration à parvenir, à franchir des grades, à prendre la place qui lui échoit au sein d'une noblesse controversée mais toujours fascinante. L'auteur de ce livre conduit alors son étude à travers trois expériences fondamentales : celle de l'homme, simple bourgeois de Paris qui vit sa condition d'écrivain roturier dans la société française de son temps et n'a sans doute de l'Espagne qu?une connaissance médiate ; celle du lecteur, et même du lecteur privilégié, puisqu'il est aussi traducteur, adaptateur, imitateur, continuateur ; enfin, celle d'un créateur proprement dit qui fonde à nouveau la société avec des éléments empruntés à la France et à l'Espagne, à la réalité et à la littérature, et qui joue avec toutes les subtilités d'une manière de dialectique nobiliaire. A l'aube des Lumières, l'enfant "le roturier", a grandi : le romancier bourgeois se réapproprie le modèle aristocratique, non pour le dénigrer ou le dégrader, mais pour le frapper au sceau de sa propre mentalité.